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L’AJOUPA.

terroger le doigt du noir, je n’y vois pas, ami Zäo, de trop bonnes lignes…

— Maître, reprit Zäo avec une persistance de néophyte, interrogez Dompête, votre Dieu et votre chef, qui lit jusque dans les veines de nos mines, vous me direz à quoi Dompête destine Zäo ?

— Mais apparemment à satisfaire tes supérieurs, répondit le vaudou, gêné par la présence du gérant, qui l’écoutait d’un air de cacique. Tu continueras, Zäo, à peigner l’aloës-pitt et à en tirer, pour tes maîtres, une filasse d’un lin éblouissant ; tu tresseras des joncs et en formeras de jolies nattes, destinées au service de table ; tu chasseras même le caïman, si cela peut te faire plaisir…

Ici le vaudou but une seconde gorgée de tafia.

— J’entends bien, maître ; Zäo est capable de toutes ces choses, mais il y en a d’autres encore. Par exemple, ne nous disiez-vous pas, l’autre été, dans un calenda, près de la Petite-Rivière, qu’il y avait en ce canton même, sur les grands Cahos, je crois, une belle grosse grappe attachée à la plus haute croupe du premier morne et nommée la grappe libre ? Ceux qui mordaient, selon vous, à cette grappe avaient la promesse de Dompête de n’être plus esclaves à leur seizième année révolue ; or, comme à la lune qui vient j’aurai seize ans…

— Veux-tu bien te taire, maudit crabe, interrompit le vaudou en faisant craquer sous sa main osseuse les doigts de Zäo, dont l’indiscrétion lui déplut. Tu ne vois donc pas, continua-t-il plus bas, que nous ne sommes pas seuls ? Prends garde à toi, Zäo, je te li-