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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

— Il est vrai que la marquise ferait mieux de ne pas s’occuper elle-même de sa table, monsieur Platon, cela regarde son maître d’hôtel…

— Aussi, rassurez-vous, vais-je les porter à son compte sur mon registre… Car enfin il n’est pas juste, s’écria le gérant, portant la main à son magnifique bonnet de coton avec un geste désespéré, il n’est pas juste que ces quatre noirs me retombent sur le dos.

Et il écrivit :

« Item, ci-contre, pour le compte de Mme  la marquise, bouillon de tortue… quatre nègres. »

— Vous avez là une page blanche, reprit le maître d’hôtel, c’est le no 143.

— Si fait, il y a le nom ; lisez plutôt : « Saint-Georges, venant de l’habitation des Palmiers, à la Guadeloupe… » Je n’ai rien à faire avec celui-là, vous le savez bien… C’est le protégé de la marquise, mon disciple ! un gaillard qui, si l’on n’y prend pas garde, sera bientôt élevé sur un pied parfait d’égalité avec le jeune marquis. Il était jadis sous ma domination exclusive. Mon Dieu, oui ! je pouvais le faire passer par les verges quand bon me semblait, sans la permission de cette Mme  la marquise ; mais bast ! à présent il ne fait pas un geste que Mme  d’Esparbac ne s’extasie et que M. Maurice ne se roule par terre, en lui criant : « Bravo, bravo, mon jaune ! » Tenez, vous ne le voyez plus venir dans les cuisines, j’en suis sûr…

— Vous avez raison, le voilà un vrai monsieur