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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

en ricanant, de ma poitrine, l’ordre de Saint-Jacques, ainsi que j’avais fait de la croix de Saint-Louis trouvée sur Langey ; me déclarait noble, comme sur la sainte Trinité je le suis, coupable d’un crime, et me rejetait au bourreau !… Vous, Caroline, vous riiez avec lui, vous aviez une robe de cour, vous partagiez la joie que lui causait mon supplice ! Ce fantôme, ce n’était point le marquis, c’était un homme de cinquante années… Je le croyais votre père dans mon délire ! Ces deux mois passés, ma convalescence commença : ne recevant de vous aucune lettre, je partis. Débarqué à la Pointe-à-Pitre, l’accès de fièvre qui me reprit fut si fort qu’il me fit tomber devant la porte d’un café. Là, presque évanoui de fatigue, j’entendis prononcer le nom de votre mari ; ce nom me tira de ma léthargie… de ma douleur… je levai la tête, comme s’il m’eût fallu répondre devant un juge. Parmi les jeunes créoles attablés dans ce café, nul ne m’interrogeait cependant, mais tous s’entretenaient de votre absence.

« — Elle a quitté la Guadeloupe, disait l’un, pour complaire à M. le contrôleur général ; maintenant qu’elle est veuve, n’a-t-il pas sur elle les droits d’un mari ?

« — C’est une vraie perte pour la colonie, reprenait un autre, la seule femme de la Pointe-à-Pitre qui sût convenablement le menuet !

« — Quel luxe ! quelle opulence ! continuait un troisième, quand je pense que M. de Boullogne a payé un matin, devant moi, à cette femme, une parure de vingt mille piastres, qu’elle devait rembour-