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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

voyais aux mornes excavations de ces rochers de lugubres cris. Mes cinq noirs me regardaient stupidement en essuyant leurs couteaux sur les feuilles d’un latanier.

« Jamais peut-être M. de Langey ne m’avait paru plus beau qu’à cette suprême entrevue… À l’admirable mélancolie de sa figure avait succédé la pâle blancheur de la mort ; le sang inondait sa cravate blanche et les paremens de son uniforme de marin ; il aimait, vous le savez, à porter cet habit quand il voyageait sur mer. Son gant droit serrait encore avec force la chaîne du médaillon ; c’était une chaîne formée de vos cheveux ; cette vue ralluma toute ma haine. Je ne craignis point d’écarter les doigts du marquis et de leur ravir cette dernière relique…  Il portait encore la croix de Saint-Louis sur la poitrine : cette croix, je la foulai sous mes pieds… Je le considérais comme l’auteur de tous mes maux sans lui, je vous faisais la maîtresse absolue de ma vie ; il était de trop entre nous deux, il devait mourir !

« J’ignorais qu’en ce moment même, heure de crime et de suprême agonie, vous le trompiez ainsi que moi !…

« La cloche de San-Yago, sonnant au loin, appelait les colons à l’église… Cette cloche matinale retentit comme un glas funèbre à mon oreille ; elle me fit souvenir que j’étais chrétien ; l’homme que j’avais tué était mort sans prêtre, sans sacremens, sans prières ! Il s’agissait de faire disparaître le corps. — Je ne pensais plus, je vous jure, à celui de sir Craf-