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TIO-BLAS.

existence compromise par tout ce qui me reste de sang ! Si vous me prêtez cette somme, monsieur, vous m’ôtez le poids des souffrances : ma misère future me poursuit comme une honte… Songez qu’à l’heure qu’il est des gens de justice peuvent venir enlever ma femme au sein d’un bal ; que moi, son mari, son défenseur, je ne suis plus là ; que peut-être en ce moment on l’assiége d’hommages ; qu’on rampe devant elle avec de douces voix, et que demain ces mêmes hommes, la voyant pauvre, l’écraseront d’un regard ! Il y va de ma vie et de la sienne, songez-y. Ma famille ne veut rien faire pour moi ; j’ai soutenu avec la cour une lutte inégale, je devais succomber, sir Crafton vous le dira. Mais les temps venus, mes droits à l’héritage de mon père vous seront cédés, je suis prêt à passer par ce que vous exigerez ; ou si vous me refusez, comme le juif Nathaniel, je me tuerai avec le poignard de sir Crafton, monsieur ; ce poignard d’un noble officier tranchera de nobles jours !

« Il avait baissé la tête, et il soupirait profondément. Il y avait dans ces soupirs étouffés, dans ce découragement amer, un motif de joie infernale pour moi, froide statue qu’il suppliait ; je m’enivrais complaisamment de cette douleur, je croyais assister à la décomposition d’un cadavre…

« — Pouvez-vous me prêter cette somme, oui ou non ? me demanda-t-il. Je ne répondis pas, j’étais attéré. Cet homme vous aimait, et il venait me le dire insolemment ! Ce n’est pas là le langage d’un mari, c’était la passion d’un amant avec toutes les angoisses, les combats qui déchirent l’âme…