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TIO-BLAS.

poussant mon cheval par les graviers et les herbes. Le capitaine n’avait pas osé faire feu sur moi ; il avait assez de peine à contenir l’exaspération de mes nègres. Peu de temps après ma fuite, il s’était vu cerné, lui et ses hommes, par un grand nombre de noirs armés de couteaux, qui arrivaient aux autres comme renfort. Le bonheur voulut qu’une escorte de trente à quarante dragons jaunes vînt le rejoindre. La minute d’avant il suppliait ; une fois délivré, il donna le cours le plus violent à sa rage. Sans respect pour les droits de la propriété, il entra dans ma demeure à la tête de tout son monde, pilla mes coffres de la façon la plus insolente, brisa mes glaces, mes cristaux, et, me déclarant déchu de mes droits au nom du conseil militaire, il se rua sur mes vins, après avoir fait occuper par ses complices les avenues de mon parc. Vainement mes gens opposèrent-ils de la résistance, ce déploiement de forces dans une habitation assez lointaine de la ville les intimida. Ils se dispersèrent pour me chercher, abandonnant mes meubles à l’ennemi.

« Quand je me déterminai à revenir, harassé de ma fuite et de ma colère, le soleil avait tout à fait quitté l’horizon, et cependant une bande de couleur rouge encadrait le paysage. Ma tour se dressait comme un géant sur ce fond ardent enflammé ; j’approchai au pas, et je vis que le feu en avait calciné la pierre. Une fumée compacte se répandait et se résolvait sur elle-même dans ma cour, les misérables avaient tout brûlé indistinctement dans leur ivresse, fauteuils, images de saints, nattes coffrets. Cinq noirs, plus morts que