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ÉVÉNEMENS

gris, la nature vigoureuse du mulâtre devait se faire jour et produire l’effet d’une véritable exception.

Suivant un usage commun encore à ce jour aux blancs des Barbades, la fraîcheur de la salle où le souper était servi, son humidité vaporeuse et sensuelle était entretenue par des ventilateurs d’un nouveau genre, sorte de moulins mettant en action l’eau parfumée d’une pompe retombant en pluie froide et glacée sur le parquet. Des nègres richement vêtus posaient ces moulins près des convives. Saint-Georges avait la direction et le soin de celui de Maurice. Le petit marquis prenait un malin plaisir à ce rafraîchissement perpétuel qui faisait voler de temps à autre la poudre de son collet dans les yeux de son maître à danser.

Cet homme faisait partie de la meute de professeurs recrutés par M. Joseph Platon dans Saint-Marc et le Port-au-Prince pour l’éducation de M. le marquis Maurice. Il devait l’instruire à prendre de bonne heure du tabac avec grâce, à parler gras, ce qui était alors le suprême bon ton, à donner un coup d’œil subtil à ses basques, à observer la troisième position et à saluer avec grâce. Comme il se rouillait dans Saint-Marc en fait d’éducations distinguées, il avait sauté en l’air à l’idée de diriger celle d’un marquis.

En observant de près Saint-Georges, le digne maître à danser, génie fort impartial, regretta beaucoup de ne pas l’avoir pour élève. Le pied et la jambe du mulâtre lui parurent irréprochables ; au souper même il ne put leur refuser son approbation, et il s’écria