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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

chaque jour de l’année. Les libéralités de leurs amans et la multiplicité de leurs intrigues leur donnant le droit de marcher souvent, dans l’audace et l’ivresse de leur triomphe, à l’égal des femmes créoles, elles renchérissaient sur elles en fait de luxe, de bijoux ; les plus belles, les plus riches productions étaient sacrifiées à leur caprice. Plusieurs nobles de l’île ne rougissaient pas de les avouer pour maîtresses ; à force de lubricité, elles étaient devenues les reines véritables de Saint-Domingue.

Le regard assuré que la marquise jeta sur ces femmes ne les déconcerta aucunement ; Finette était d’ailleurs de leur caste. La marquise ne consentit à leur adresser la parole qu’en portant la main à sa ceinture : à cette ceinture pendait un petit fouet à manche d’ivoire, dont les femmes créoles de véritable naissance usaient encore avant les premiers troubles de Saint-Domingue. À la seule vue de la toilette insolente de ces filles, une indignation visible se peignit sur les traits de Mme de Langey ; elle demanda à Joseph Platon si elles faisaient partie de l’habitation de la Rose.

— Quand M. le contrôleur général partit de Saint-Domingue, à son dernier voyage, madame la marquise, ces filles-là étaient encore bien jeunes ; elles ont grandi ; mais je me souviens qu’il m’en recommanda un bon nombre… Dame ! M. le contrôleur général était galant !

— Madame veut-elle visiter la case que voici ? interrompit Finette, qui sentit que Platon avait dit une bêtise. C’est la case no 12.