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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

j’ai juré sur la mémoire de mon père de ne rien devoir à cette femme… Je hais l’intrigue comme vous haïssez la solitude !

C’est cela, toujours vos idées créoles ! Vous croyez que le monde doit être à vos pieds, vous regrettez vos esclaves de Saint-Domingue ? Savez-vous, Maurice, qu’il vous prend parfois des sauvageries étranges ? Vous boudez le monde, vous le fuyez ; moi, je ne désire qu’une chose, voir ce monde, dont vous ne voulez rien m’apprendre !

— Qu’ai-je à vous en dire, Agathe, sinon que son souffle empoisonné vous tuerait ? Je suis jeune, je ne manque ni de plaisirs ni d’amis, eh bien ! sans vous, tous ces plaisirs et ces amis ne me sont rien. Ce toit retiré, si triste pour vous, a pour moi un parfum de tutelle et de mystère ineffable : il vous garde, il vous défend ! Si je vous disais que je ne l’ai quitté si brusquement l’autre fois que parce qu’il me fallait m’y débattre contre mon cœur ! Vous rappelez-vous ce jour où nous avons feuilleté tous deux un cahier de Cimarosa à ce clavecin ? vous étiez belle comme un lis, votre chant divin m’apportait des joies charmantes ; Glaiseau écoutait ; il avait allumé toutes les bougies du salon !… C’était une fête que nous nous donnions à tous deux ; là je n’avais, Agathe, ni distraction ni jalousie, je ne voyais que vous ; votre mitaine était, à cette soirée-là, de ruches roses… Nulle autre main que la mienne ne l’effleura, nul autre souffle que le mien ne passa sur votre front. Oh ! quand je vous contemplai le corps à demi renversé sur cette chaise où vous êtes, et tenant vos doigts