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UN ANCIEN AMI.

crus, sans cela, sortis du creux des rochers : « Je suis le comte de Cerda, disiez-vous ; on peut me croire : une Éthiopienne m’a gravé mon nom sur le bras ; je ne suis pas un marchand, je suis un noble espagnol ! » Un soir il me vint à l’idée de me convaincre de cette noblesse que vous n’avouiez qu’en rêve… Je penchai ma lampe sur vous pendant que vous sommeilliez, car vous sommeilliez ce soir-là ; nous avions fait une marche forcée pendant six jours. Je vis distinctement ce nom de Cerda écrit avec des lettres qui me semblèrent du sang… Dieu voulut qu’alors vous ne vous réveillâtes point, Tio-Blas ; peut-être m’auriez-vous tué !

— Eh bien oui, reprit-il avec une amertume de sourire qui trahissait assez le désespoir de son âme, eh bien oui, je suis un noble… je suis le comte de Cerda !

Et il se mit à pleurer, à pleurer comme une femme… Il avait senti l’abîme profond qui le séparait de Saint-Georges… Depuis qu’ils ne s’étaient vus, la nature de l’esclave s’était relevée, celle du noble, avilie…

— Me permettrez-vous de vous voir comme autrefois ? dit-il à Saint-Georges ; vous n’auriez point reçu Tio-Blas, recevrez-vous le comte de Cerda ?

— Je ne refuserai jamais ma pitié à l’un ou à l’autre. C’est à Dieu seul à vous juger, Tio-Blas ! Abjurez seulement une haine qui va mal au front d’un vieillard. À dater d’aujourd’hui, si vous avez besoin de quelque secours, ma maison vous est ouverte… Laissez la vengeance, elle ramène à sa suite