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UN ANCIEN AMI.

Blas, ne vous vengez pas ; le mépris des hommes vous vengera !

— Ce n’est pas dans ces dispositions magnanimes que j’espérais vous retrouver, chevalier de Saint-Georges… Mais vous n’aimez plus Mme de Langey, vous avez quitté dès lors le chemin de la colère… Elle apparaît sans doute à vos yeux comme une morne fleur sans délices et sans parfums… C’est ainsi, mon Dieu, que moi, qui ne cherchais qu’à l’oublier, j’eusse voulu la revoir à mon retour !! mais il était écrit que je n’aurais pas même la gloire de vaincre mon cœur : oui cette femme, cette femme que je méprise, que je hais, que j’ai voulu tuer, eh bien ! Saint-Georges, je l’aime !! Et savez-vous de qui elle est la maîtresse ? D’un misérable joueur, d’un escroc nommé de Vannes.

— De Vannes, avez-vous dit ?

— Lui-même. À son départ de Saint-Domingue, il l’avait suivie en Angleterre… C’est là aussi que M. de Boullogne devait la rejoindre ; les travaux du cabinet l’en empêchèrent. Le prince de Rohan, à peine arrivé, fut mandé pour affaire à Malte, il ne resta à la marquise que de Vannes pour cavalier… Trouvant sans doute que les largesses de M. de Boullogne ne suffisaient pas à son luxe, la créole voulut tenter les chances du jeu. Elle se rendait chaque soir, le visage couvert de son loup, dans un enfer obscur de Lambeth-Street ; de Vannes l’y escortait sous un faux nom… Depuis mon arrestation, et surtout depuis le crime qui la suivit, la fièvre ne me quittait plus. Les jours où elle me permettait de marcher, je les suivais de loin tous deux à distance, me traînant