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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES

L’état de ce vieillard est devenu tel qu’il s’est ressenti hier même, au jeu du roi, de l’une de ces attaques d’épilepsie auxquelles on prétend qu’il était déjà sujet aux îles… Sa santé est délabrée… Ce n’est pas à son âge qu’il s’inquiétera des amours passés de Mme de Langey…

— Oui… mais dans ces lettres il y a autre chose que de frivoles pages d’amour… encore une fois, il y a du sang !… Et qui vous dit, Saint-Georges, que le misérable état de cet homme, ses infirmités, ses douleurs ne soient point le fruit de sa triste chaîne avec Mme de Langey ? Qui vous dit qu’il n’ait point été robuste comme moi, beau comme moi, comme moi encore jaloux et emporté jusqu’à la haine ? Il a dû souffrir… il a souffert par cette femme… Peut-être en ce moment ne cherche-t-il qu’un moyen de s’affranchir de ce joug honteux pour lui, car on lui nomme partout ses rivaux. Des rivaux peuvent se nier, mais on ne nie pas des lettres !… Oh ! quand je songe que je pourrais à cette heure la ruiner dans l’esprit de ce vieillard, cette femme infâme qui m’a ruiné ; quand je songe que je pourrais la perdre par une seule de ces lettres, cette femme qui m’a perdu !

— Vous ne l’auriez point fait, Tio-Blas, et vous ne le feriez pas si vous retrouviez ce portefeuille… ce serait là une insigne lâcheté ! Pensez-vous que j’aie oublié plus que vous le scandaleux orgueil de la créole ? pensez-vous que même à Paris, où je me suis fait un nom, son mépris tortueux ne cherche pas à me nuire ? Mais je suis heureux, mais j’ai l’avenir devant moi… j’oublie cette femme. Faites comme moi, Tio-