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LE LABYRINTHE.

cœur du créole pour lui rappeler que cet esclave avait été son ami.

« Serait-il vrai, mon Dieu, se disait Maurice avec un singulier désespoir en voyant les prévenances féminines dont Saint-Georges était l’objet, serait-il vrai qu’aux yeux d’Agathe je serais moins que cet homme ? Ne suis-je donc pas noble ; et qu’est-ce que ce chevalier des Antilles, sinon un comédien du théâtre d’Orléans ! »

De son côté, Saint-Georges, dès qu’il aperçut Maurice, ne put réprimer en lui mille mouvemens de joie et d’inquiétude. C’était leur première entrevue depuis leurs beaux jours passés à la Rose : qu’allait-il lui dire, ce faible enfant pour lequel il avait autrefois exposé sa vie ? Sans doute, pensa-t-il, ce long cordeau de convives qui nous sépare le gêne et le glace, le monde seul impose silence à son cœur Oh ! dès que les fanfares vont sonner, je vais me précipiter dans ses bras, lui dire : « C’est moi ! cher Maurice ! moi Saint-Georges, moi, qui ne suis pas plus fier de mes succès que vous ne l’êtes vous de votre titre ! me reconnaissez-vous ? c’est moi ! »

Mille images confuses apparurent alors à ses yeux comme de lointaines vapeurs : il revit, la Rose, les joies ou les douleurs de leur double enfance, tout ce qui avait dû laisser au cœur de Maurice, comme au sien, des germes impérissables.

Il le vit partageant avec lui l’eau sainte et la robe blanche du baptême, le même jour, à la paroisse de Saint-Marc.