Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son orgueil exclusif de la race. Barbe semblait l’étrangère ; oui ! mais quel arôme et quelle promesse de voluptés montait d’elle ! Voilà pourquoi il s’était dépris de Godelieve. Il ne savait plus maintenant où son cœur en était. C’est la faute du beffroi. C’est depuis le jour où il avait vu la cloche de Luxure. Instantanément, devant tous ces péchés en relief, ces accouplements comme brodés, ces grappes de seins, vendanges pour l’Enfer ! — il s’était mis à évoquer Barbe, il avait regardé sous la cloche comme s’il regardait sous sa robe. Un grand désir charnel l’assaillit… Et ce désir, né là-haut, l’avait accompagné à terre. Tandis que, en revoyant les deux sœurs, il se trouvait repris par l’émoi initial, reconquis à la grâce ogivale de Godelieve, aussitôt son désir de la tour renaissait, exigeant, tumultueux. Trouble inextricable ! Il semblait que la maison et la tour l’influençaient en sens contraire. Dans la demeure de Van Hulle, il n’aimait que Godelieve, si bien appariée aux vieilles choses, elle-même comme un ancien portrait ; et il songeait au calme qu’elle mettrait dans sa vie, s’il l’épousait, avec cet éternel sourire de mystère qui a l’air de s’immobiliser pour ne rien déranger du silence ! Au contraire, dans le beffroi, il n’aimait que Barbe, tourmenté de désirs, d’une curiosité d’elle et de son amour, sans doute à cause de la cloche obscène, noire alcôve où il s’engouffrait avec elle, la possédait déjà, participait de tous les péchés représentés dans le bronze…