Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Musset ne se chercha pas longtemps. Il se trouva dès sa première souffrance. Et alors sa poésie ruissela avec la spontanéité du sang. On sait sa passion pour George Sand, la trahison et les éloquentes Nuits. Verlaine rencontra à son tour « le chevalier Malheur ». Son drame fut pire. Blessure d’amour aussi, mais plus grave et extraordinaire. C’est Dieu qui le blessa d’amour. Coup de foudre de l’amour divin ! Qu’était-il donc arrivé ? Lui-même, dès son premier volume, prévoyait l’avenir en ce vers sinistre et prophétique :

Mon âme pour d’affreux naufrages appareille !

On connaît l’aventure. Verlaine lui-même, avec sa folie de sincérité, qui fait songer à la confession publique des premiers temps du christianisme, la raconta dans Mes Hôpitaux et Mes Prisons. Car « les tribunaux s’en mirent » comme il a dit lui-même. Les chutes furent profondes. Mais, dans la retraite, le repentir toucha son âme.

Qu’on imagine cette scène incomparable : les quatre murs blancs de la solitude ; le silence, autour, des longs corridors ; et le monde aussi, d’où l’on fut retranché, silencieux d’être lointain. Plus de parents, d’amis ; on est seul, avec sa faute. Et quel sentiment de sa déchéance ! On se fait l’effet d’être de l’autre côté de la vie.