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cette banlieue ! Or M. Raffaelli, de par son talent raisonneur, logique, devait surtout aimer les aspects dont il serait possible de formuler avec précision le caractère. Il a l’esprit trop formel pour aboutir à des synthèses ou des symboles. Ce serait un peintre plutôt réaliste, encore qu’il ait exposé, naguère, avec les impressionnistes, dans le groupe desquels on le confondit. Mais, en réalité, il n’est d’aucune école. Sa personnalité est unique ; ce domaine d’art de la banlieue lui est propre, et son esthétique aussi, qui le lui a fait exploiter avec acuité et avec quelque chose de la main décidée des chirurgiens. C’est que cette terre suburbaine a pour lui un visage, un corps pour ainsi dire. Terre malade, que des anémies, des cancers, des arthrites rongent. Le peintre suit les lignes du terrain comme des muscles. Son pinceau a des rigueurs qui dissèquent. Il détaille l’anatomie du sol. Il va jusqu’à l’ossature. Et même dans la couleur, voici des bleus de misère et de froid, des rouges de dartre…

Et les plis des terrains s’accordent avec les plis des vêtements. Car ces contrées suspectes sont occupées par quelques figures : un rôdeur, un chiffonnier, un terrassier (parfois aussi un vieux cheval). Or, ceux-ci ne sont-ils pas, a leur tour, comme une banlieue d’humanité ? Épaves de la grande ville, vaincus par elle, et incapables,