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toire de l’art, qu’un tel œil s’est posé sur le paysage. Et voilà pourquoi M. Claude Monet a renouvelé la peinture de paysage. C’est ainsi chaque fois que paraît un artiste original. Quand Banville parlait de la rose, c’était comme s’il eût été le premier poète ayant vu la première rose. Pour M. Claude Monet, chaque paysage qu’il peint a l’air d’avoir été regardé pour la première fois par un peintre. Et la sensation de nature est pour nous aussi, dans ses toiles, tout insoupçonnée et toute vierge.

C’est à cause de cette nouveauté de vision que le peintre fut longtemps méconnu. On refusa ses envois aux Salons. Son Déjeuner sur l’herbe, admis à celui de 1864, y provoqua des colères ou des rires. On sait le mot fameux de Cabanel sur cet exquis Corot : « Les Corot ? ah ! oui… ça se fait avec le grattage de nos palettes. » À plus forte raison, lui et ses pareils durent juger ainsi les premières œuvres de M. Claude Monet. Seuls Gautier et Daubigny furent bienveillants, et surtout Manet qui, lui, se montra enthousiaste.

Cette amitié de Manet s’explique d’autant plus, que son propre art en bénéficia. Si, au début, M. Claude Monet subit un peu l’influence de Manet, il est plus vrai de dire que Manet subit l’influence de M. Claude Monet, pour toute la seconde partie de son œuvre. On voit presque