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des dentelles, où le désir s’élance, souffre, meurt ! Et les bijoux qui sont des feux où on se brûle ! Et les lèvres qui sont fausses de trop de fard ! Charme de l’artificiel ! Savant maquillage, cher comme un beau mensonge ! Les voilà, les femmes du siècle, créatures de jeu et de proie. C’est le peintre qui les habille. Certes, il sent la mode ; souvent, il la devine ; mais il ne s’y conforme pas. Il ne peint jamais un ajustement sans le déformer, mettre d’accord les plis avec des mouvements de nature. La robe ici déferle comme la mer. Telle jupe qui s’enfle est copiée sur les volutes de la flamme qui monte, sur les arabesques d’un nuage. Les voilà donc, tantôt textuelles dans de prestigieux portraits comme ceux de Mme Jourdain, de Mme Lemaire, tantôt un peu imaginaires, à la fois blondes somptueusement, finement brunes, rousses surtout, ces rousses dont il nous a laissé des nus inoubliables : leur chair toute moderne, chair un peu verte comme est la chair des rousses, d’un vert de linge sous le feuillage ; leur nuque tentante, fouillée par un pinceau sensuel ; puis encore et surtout leurs cheveux, d’un roux spécial. Un roux où il y a de l’or, du sang, une patine ; un roux qui mixture les rouilles de l’automne et celles de la chimie ; un roux qui est de la lumière et de la teinture, qui ajoute à la beauté de la nature le raffinement de l’artifice. Ne re-