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d’adieux enivrants, de départs, de gestes toujours s’évertuant à traverser les distances. Tout défile, s’écoule en panorama rapide d’êtres et de choses. Escales momentanées ! Embarquements ! Dérives ! On a beau changer de pays, de costumes, d’amours. Changer d’Océan, même ! Partout, que ce soit la face grise de la mer de Bretagne, la face bleue du Pacifique, la mer a le visage de l’Éternité.

Et les heures brèves se brisent et se reforment comme les vagues.

M. Pierre Loti — comme déjà Baudelaire, dans le Voyage — a exprimé ce sentiment de l’instabilité, de la vie sans cesse déprise, des départs imminents, des continuels adieux qui sont déjà de petites morts — et de la fin proche, au bout de l’ennui !

C’est cette mélancolie, issue de la mer et du voyage, qui baigne toute son œuvre. Celle-ci est aussi un navire, à la poupe tatouée, dont le pont mêle des cocotiers alanguis, des idoles poussiéreuses, des parfums forts, des fleurs comme de la chair, et des femmes à la peau de fruit, habillées d’étoffes aussi belles que des nuages.

Mais toute la mer, incessamment gémissante et qui a la voix de la mort, flotte dans le blanc des pages.