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cesse la subtile chaleur de l’amour, une sensualité ardente en même temps qu’ingénieuse. Et ceci constitue la principale originalité de l’écrivain ; une science égale des livres et des caresses, une érudition qui cumule la bibliothèque et l’alcôve. Charme imprévu d’un savant qui est voluptueux.

C’est l’impression que donnent tous ses romans. Voyez Thaïs, cette œuvre de savoureux archaïsme où nous vivons en des paysages d’ancienne Égypte, sur les rives du Nil, ou dans la brûlante Alexandrie, parmi des anachorètes, de riches oisifs, des philosophes, des courtisanes. Une œuvre qui apparaît polychromée comme un vase peint de musée, comme un authentique papyrus. Certes, pour l’écrire, M. France songea à Hroswitha, la jeune Saxonne qui fut dramaturge au temps de l’empereur Othon, et aussi aux Moines égyptiens, de M. Amelineau. Mais par-dessus toutes ces alluvions de l’érudition, se lève quelque chose qui lui est propre : Vénus dans le triangle, dont parlait le mathématicien Mélanthe ; le clair de lune d’une sensualité exquise ; Thaïs ! la lune du ciel alexandrin, comme M. France lui-même l’appelle. Et l’enchantement opère, du secret qui constitue son talent : le corps de la courtisane s’étire dans la grotte des Nymphes ; et les phrases harmonieuses l’entourent comme des étoffes et comme des fontaines.