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autres et de lui-même que pour salir et bafouer ce trop bel idéal qu’il porte en lui, sans le pouvoir réaliser. Il y a désaccord, manque d’équilibre, il a trop d’idéal pour vivre avec la vie, et alors il se bat contre elle. C’est toujours le cas de Don Juan qui a trop d’idéal pour jouir uniquement de ses amantes et ne leur demander que du plaisir. Sa souffrance en résulte. Et la vie frénétique commence. Mais s’il avait eu plus d’idéal, il aurait dominé la vie ; il aurait été jusqu’à l’absolu en soi, il aurait réalisé le bonheur dans sa propre conscience et atteint l’amour de l’amour. De même l’abbé Jules, avec plus d’idéal, n’aurait pas entamé ses farouches luttes contre ses proches, ses collègues, son évêque, les curés, — « tous, des imbéciles », comme il dit si drôlement — ni ses luttes contre la vie entière, ni ses luttes contre lui-même. M. Octave Mirbeau, observateur aigu mais visionnaire aussi, le sait bien ; et c’est pourquoi il dressa vis-à-vis de l’abbé Jules, sa merveilleuse figure de l’abbé Pamphile. Celui-ci a été jusqu’au bout de son idéal, en face duquel il s’est enfin trouvé lui-même, et seul. Sa pioche « n’a fouillé que les nuées ». Création unique, et si en avance sur tout ce qu’on écrivait a ce moment ! Ah ! cette cathédrale idéale, qui est pour le solitaire comme si elle existait puisque le plan en est terminé en lui, et la tour