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partant sur un navire acheté par lui pour cet Orient mystérieux qu’il a décrit et où les Arabes du désert eux-mêmes, frappés de sa royale prestance, rappelaient l’émir frangi.

Si habitué à ces hommages unanimes, à ce culte et à cette frénésie de respect qu’un jour, à propos d’un jeune écrivain qu’on le priait de protéger, il déclara avec une fatuité touchante : « Il ne fera jamais rien. Il n’a pas été ému en me voyant. »

Malheureusement, la Poésie, qui lui avait donné tant d’années de gloire et d’une existence sans pareille, ne sut pas le retenir exclusivement. Déjà, en 1831, il avait publié sa Politique rationnelle et brigué un mandat législatif. On prétend même qu’il n’entreprit son lointain voyage en Orient que par dépit de cet insuccès. Or ce voyagé devait, par un hasard inouï, le pousser, à son retour, plus décidément encore du côté de la politique. Il avait rencontré dans les solitudes perdues du Liban cette bizarre lady Esther Stanhope, qui lui avait dit, après avoir consulté les étoiles et lu les signes de sa main — géographie mystérieuse des passions et des destinées : « L’Europe est finie ; la France seule a une grande mission à accomplir encore. Vous y participerez. »