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boucheries plus sanglantes encore de la guerre, il venait dire : « L’homme est un dieu tombé !… »

Et puis, il y a autre chose : ce commencement de siècle qui marquait une renaissance était comme une puberté qui s’élabore ; il avait les troubles, l’incertitude, l’angoisse sans cause, la mélancolie de la vierge qui devient nubile et sent déjà l’avenir lui tourmenter le sein.

La poésie de Lamartine répondit à tous ces vagues élans, elle qui, non contente de diviniser la vie, divinisa l’amour. Ah ! ce fut même son plus suave enchantement ! Le « dieu tombé » retrouvait dès ici-bas un ciel dans l’amour, l’amour plus fort que la mort elle-même, puisque l’amante soupirait à l’amant : « Je ne comprends pas le ciel même sans toi ! »

Le Lac, les stances à Elvire, l’élégie du Premier regret donnaient un avant-gout d’infini : « Ô temps ! suspends ton vol ! » et promettaient des minutes divines où, vivant — grâce à l’amour — on vit déjà d’éternité !

Et cela n’apparut pas comme une imagination impossible, un leurre consolant de poète. Il prêchait d’exemple. On voulut aimer à sa façon ; il avait créé une nuance nouvelle d’aimer et d’être aimé, car on savait que lui-même avait vécu dételles amours. Ses aventures italiennes, la mort de la pêcheuse de Procida faisaient autour