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pas. Peut-être a-t-il entendu le bruit des larmes dans les yeux…

Or les larmes sont contagieuses. Et Alphonse Daudet, après avoir raillé, s’émeut. La faculté des larmes est aussi naturelle chez lui que la faculté du rire. Cela résulte peut-être d’une adolescence inquiète dans un foyer où le malheur frappait aux vitres : « sa mère avec de grands yeux tristes » a-t-il écrit.

En tous cas, c’est un don précieux pour quiconque prend la parole devant la foule : orateur, écrivain, que ce don d’émouvoir, mouiller les yeux, faire jaillir la source divine et salée de ce rocher des cœurs qu’on croyait mort. Alphonse Daudet le possédait et lui dut pour une part le grand succès de ses romans ; à l’apparition de Jack, George Sand lui écrivait : « Votre livre m’a tellement serré le cœur que j’ai été trois jours sans pouvoir travailler. »

Ce sentimental, côte à côte avec l’observateur, c’est le poète qui vit dans le romancier et toujours intervient. Parfois même, après l’époque des débuts, et tout le long de l’œuvre, le poète recommença à parler seul : L’Arlésienne est plutôt, et restera, un poème de Provence, comme Mireille ; Le Trésor d’Arlatan, tout récent, avec ses paysages camarguais, sa sorte de sorcellerie paysanne et son merveilleux du Midi, fait songer à une idylle tragique d’un poète du félibrige,