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pourriez-vous pas empêcher ces infamies ?

M. Verguières se dégaga, l’air angoissé, en balbutiant :

— Mon Dieu ! je ne vois pas…, non…, je ne vois pas ce que je pourrais faire…

— Parler aux gens ! s’écria mon père avec véhémence, leur dire qu’ils se trompent, qu’ils sont injustes, méchants, cruels…

Le curé sourit avec finesse :

— Les gens ne croient jamais ces choses-là d’eux-mêmes, monsieur le docteur. On a beau les leur répéter, ils ne les croient pas davantage. Ils sont toujours persuadés qu’ils ont raison.

Tout ce que me révéla cette conversation, c’est qu’il y avait dans la vie de ma marraine un danger, une menace, un mystère : j’ouvris tout grands mes yeux d’enfant sur ce mystère humain, je tendis mon attention, de toutes mes forces, pour tâcher de le pénétrer. Une vague idée s’estompait dans mon cerveau : celle que ma marraine pouvait avoir commis une faute, ou qu’au moins on l’en accusait. Mais je la repoussais avec horreur, et j’en étais affreusement tourmenté. Mon père, quand il me trouvait en train de lire un livre de sa bibliothèque, — ce qui m’arrivait quelquefois, — me le prenait en disant : « Cela n’est pas pour toi ! »