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innocents sur la douleur de la comtesse et la surprise des domestiques, bref, tout le pittoresque de l’affaire, si l’on peut dire, avait suffi à défrayer les conversations. Elles ne tardèrent pas, cependant, à devenir plus agressives. Peut-être as-tu remarqué, quand je te l’ai rapportée, l’explication naïve du suicide que donnait un de mes petits camarades : Il avait des chagrins. Après tout, c’était la plus simple, la plus attrayante aussi, justement parce que, très vague, elle ouvrait le champ à toutes les hypothèses. Il fallait préciser : quels chagrins pouvait avoir le comte Pierre ? Hé ! parbleu, des chagrins domestiques, des chagrins de ménage, des chagrins conjugaux !…

Et l’histoire de mon cousin Jacques revint sur le tapis, mais avec un tout autre caractère, affirmée avec certitude, sans ménagements, menaçante, grosse d’orages.

Il n’était plus fier, mon cousin Jacques ! On ne le voyait plus au café. Pour aller à son bureau, il glissait le long des murs, avec des airs de vague malfaiteur, écrasé sous la réprobation universelle. Lui qui, jadis, par ses allures de bourreau des cœurs, encourageait les bruits qui le flattaient alors, il aurait bien voulu, maintenant qu’il en était victime, les réduire à néant. Mais le moyen ? Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a comparé la calomnie à