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tion, un supplice ingénieux entre tous, où chacun faisait l’office de bourreau, sans en avoir le moindre remords. Eh bien, les paisibles habitants de la paisible ville qui sommeille si doucement au bord de son lac, parmi ses sapins, dans sa sécurité montagnarde, les vieux amis du comte Anthony, la « noblesse », les bourgeois eux-mêmes, les bons horlogers laborieux, qui n’auraient pas interrompu leur travail pour écraser une mouche, tous ces braves gens allaient lapider ma marraine. Chacun lui a jeté sa pierre, en passant, sans se déranger, sans seulement se mettre en colère, en sorte qu’à la fin, quand elle est tombée sous ces coups multipliés, chacun a pu dire :

— Ce n’est pas moi.

Quel fut le misérable qui s’avisa, le premier, de mêler le nom de Mme des Pleiges au drame dont elle venait d’être la victime ? Je ne le sais pas, et personne ne le sait, pas même le coupable qui l’a probablement oublié, et jamais on ne le saura. Il en est de ces rumeurs-là comme de certains ferments vénéneux : elles naissent toutes seules, de germes imperceptibles et infinitésimaux ; elles sont des phénomènes qu’on attribue à la génération spontanée parce qu’on est dans l’impossibilité de les expliquer. Pendant les premiers jours, les détails du suicide, la question des obsèques, des racontars