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vain, le colonel Marian et la comtesse elle-même, arrachée à son deuil par la nécessité d’agir, multiplièrent-ils les démarches et les supplications : les dépouilles du comte Pierre ne seraient point admises à l’église, nul prêtre ne consentirait à lui faire l’aumône des suprêmes prières.

— Dieu est peut-être plus clément, disait timidement ma mère.

Mon père, qui n’était point un fervent catholique, grondait avec une sourde colère :

— Pourtant, ils n’ont jamais fait de mal à personne, ils n’ont fait que du bien, toute la ville les aime…

… Oui, sans doute, la ville les aimait. Comme je te l’ai déjà dit, nos bons artisans regardaient les petits-fils de leurs anciens seigneurs comme une relique prestigieuse du passé. Ils savaient ou sentaient qu’un fil mystérieux subsistait, dernier reste du lien solide qui jadis unissait leurs humbles ancêtres aux aïeux de la noble famille. La fin tragique du comte Pierre les émouvait comme un malheur commun, et tous en prenaient leur part. Mais le suicide passe pour une honte : conformément, ils songeaient qu’elle rejaillirait sur eux. Ils se trouvaient dans la situation de collatéraux obscurs, dont le nom serait soudain taché par la faute éclatante d’un parent illustre, et qui, après avoir été