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gées ! Jamais aux Pleiges, il n’y avait eu pareille débauche de dragées. On eût dit, devant l’église, une couche de neige fleurie, une couche de neige d’été, rose et blanche. Enfin, rien ne manqua à la cérémonie. Après l’avoir racontée, ma mère ajoutait quelquefois, avec un soupir :

— Pourtant, c’est de ton baptême qu’est venu « tout le mal ».

C’est qu’il y avait à ce baptême, parmi les assistants, — non certes parmi ceux de marque, — un mien cousin, mon aîné d’un bon quart de siècle, nommé Jacques Nattier. C’était un beau garçon : en fouillant mes souvenirs, — car il ne quitta la ville que plusieurs années plus tard, et j’eus le plaisir de jouir de sa compagnie, — je retrouve un grand gaillard avec des moustaches fauves et des yeux luisants. On lui trouvait l’air crâne et des allures d’officier. Pourtant, il n’était que fonctionnaire. Très vivant, très gai, il parlait abondamment et bien. Il chantait aussi : sa voix, vibrante et chaude, se prêtait aux grands effets des airs d’opéra. Il ne manquait point d’esprit, ni surtout d’une certaine drôlerie communicative, qui devait lui valoir de jolis succès dans une ville où l’on ne riait guère. Or, le jour de mon baptême, il fut présenté à ma marraine : honneur auquel, en d’autres circonstances, il n’aurait jamais pu prétendre. Et il arriva que, au lieu d’être intimidé, au lieu de se