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claire, sur un fond de printemps, de lumière, de prés semés de boutons d’or. Les fleurs qu’elle portait, c’était une touffe de reines-des-prés, dont les grappes pâles affectionnent l’ombre de nos bois et la fraîcheur de nos ruisseaux. Le jour où je la vis ainsi, elle ne s’arrêta pas, comme elle faisait volontiers, pour m’embrasser ou pour dire à ma mère quelques paroles affectueuses. J’étais sur le balcon : elle se contenta de m’envoyer un sourire, en agitant vers moi son beau bouquet blanc. Et son image se photographia dans mes yeux, où je la retrouve avec une surprenante netteté : sans doute parce que, très peu de temps après, le lendemain ou le surlendemain, pendant que je pensais encore à ma belle marraine revenant de la forêt comme une princesse de conte, le printemps dans les mains et dans les yeux, éclata le drame qui, comme un coup de baguette d’un enchanteur mauvais, la changea en une pauvre créature de souffrance et de deuil.

Après ce préambule, Philippe s’arrêta un instant, comme s’il eût cherché la meilleure manière de poursuivre son récit, dont j’attendais la suite. Il reprit :

Tu ne saurais comprendre sa destinée qu’après quelques explications sur notre milieu, que tu ignores. Nous n’avons pas encore traversé la ville ensemble. Cependant, il a dû te suffire de la parcourir cet