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bord de ce petit lac qui semble toujours vert, — vert pâle quand le ciel est pur, vert profond quand le ciel se brouille, — mais qui ne change jamais que de nuance. Je me suis beaucoup ennuyé, ici. Raison de plus pour m’attacher ! Il y a des fils mystérieux qui me lient à tous les brins d’herbes, et plus encore aux choses immatérielles, à cet aspect, à cet ensemble, à l’âme rude et forte de cette contrée.

Rarement, Philippe parlait autant. Mais il y avait si longtemps que nous ne nous étions vus ! Et puis, il était heureux de m’avoir chez lui, après tant de vaines promesses : notre intimité d’autrefois renaissait ; sans doute, elle allait nous incliner aux larges confidences. Et je souriais déjà de son petit discours, car je venais d’y retrouver le philosophe, l’abstracteur, le solitaire à la fois raisonneur et sentimental que j’aimais. Pour l’exciter à parler davantage, je répondis :

— Pourtant, les journées doivent être quelquefois longues, la solitude quelquefois lourde.

Il se contenta de hausser les épaules de ce geste qui lui était familier, où il y avait du dédain et de la résignation :

— Si ce paysage ne te plaît qu’à moitié, reprit-il bientôt, regarde les bibelots et les meubles !

Justement, je me trouvais devant une vitrine. Je m’en approchai, et la vis rem-