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— Oui, nous avons fait de grandes pertes.

Puis, se reprenant en tâchant de sourire et d’égayer sa voix :

— Il ne faut pourtant pas trop nous plaindre, chère madame. Il va sans dire que, si la santé d’Anthony l’exigeait absolument, nous nous arrangerions, mon père et moi. Mais, grâce à Dieu, ce n’est pas le cas. Il va mieux, beaucoup mieux, cette année. Votre mari lui-même, qui est toujours un peu pessimiste, nous rassure. Alors, vous comprenez, j’en profite pour faire des économies.

En ce moment, elle regarda de mon côté. Je n’eus pas le temps de détourner mes yeux stupéfaits. Elle comprit que j’écoutais, fit un signe à ma mère, qui allait lui répondre et qui baissa la voix, et leur conversation se perdit dans un chuchotement imperceptible. Un moment après, elle se levait pour partir. Elle m’appela :

— Filleul, viens m’embrasser.

J’accourus, elle se pencha sur moi et me caressa les cheveux du geste que j’aimais.

— Il ne faut jamais écouter ce que disent les grandes personnes, me dit-elle.

Quoiqu’elle parlât bien doucement, je me sentis rougir ; mais, pour rien au monde, je n’aurais consenti à ignorer ce que je savais maintenant.