Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Est-ce qu’on sait ? Dans le Midi, en Italie, plus loin peut-être.

— … Probable qu’ils ne reviendront pas !

— Bon débarras !

À plusieurs reprises, Mme  d’Ormoise essaya d’interroger ma mère sur leurs actes et leurs projets. Mais ma mère, toujours prudente, était aussi discrète : elle ne dit pas même où ils étaient, bien qu’elle reçût des lettres de la comtesse, des fleurs et, à Noël, un cadeau pour le « vaillant filleul ». On en fut donc réduit aux renseignements de Mlle  Éléonore, qui n’étaient jamais que des insinuations, contradictoires et mystérieuses. La vieille fille, après avoir longtemps hésité, tergiversé, exécuté de savantes manœuvres entre les deux camps, espion des uns et des autres et versant de l’huile sur le feu, avait passé définitivement à l’ennemi. Rancune, envie, simple méchanceté ? Qui le dira ? On ne sait jamais ce qui se passe dans ces âmes malsaines d’êtres dévoyés et tortueux qui cherchent à nuire avec inconscience, pareils à ces insectes malpropres dont le seul attouchement couvre la peau d’ampoules. Mlle  Éléonore était une de ces âmes-là. Longtemps, dans son cercle de famille, elle avait retenu et caché son venin : libre maintenant, elle se délectait à le répandre ; il coulait abondamment de ses lèvres onctueuses, empoisonnant la plaie ouverte. Toutes sortes de bruits per-