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au pas, et si je tâchais de l’exciter, s’arrêtait, se tournait vers moi, et me disait avec un pâle sourire :

— Non, vois-tu, Philippe, je suis un mauvais cheval, décidément !

Alors il enlevait ses brides, et s’asseyait tristement au bord du chemin.

Seule, la lecture le passionnait. Il dévorait tout ce qui lui tombait sous la main. Et il devenait un être étrange, d’une incroyable précocité pour certaines choses, prodigieusement arriéré pour d’autres. Il ignorait tout ce qui ne se trouve pas dans les livres, et possédait une foule de connaissances bien au-dessus de son âge, en histoire, en géographie, en voyages, en poésie. Sa petite âme vibrait à ces excitations du dehors qu’elle accueillait comme des réalités immédiates et présentes. Il possédait, par exemple, une traduction illustrée de la Jérusalem délivrée : je crois vraiment qu’il vécut tout le poème, tant il le relut avec passion. Pendant un temps, il ne parlait pas d’autres choses. Il en rêvait. Tancrède, Clorinde, Soliman, Sophronie étaient pour lui des êtres vivants, qu’il rencontrait dans tous les coins du parc, qui lui révélaient l’inconnu de la vie, qui remplissaient sa solitude de songes maladifs d’héroïsme ou d’amour. Il était un chevalier, il conquérait le saint Sépulcre, il délivrait des princesses, il abattait des Sarrasins… Hélas ! au bout de