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Il y a dans nos bois un beau papillon qu’on nomme le silvain : tu pourras en voir un échantillon dans ma collection que tu dédaignes. Ses ailes sont couleur de deuil. Il a le vol rapide. Dans la tristesse de la forêt silencieuse, dans l’ombre humide des hêtres ou des sapins, dont les branches laissent, de-ci de-là, filtrer des ronds de lumière qui tombent sur la mousse épaisse ou sur les hautes fougères, il glisse et se perd presque aussi vite que les libellules. On ne sait d’où il vient ni où il s’enfuit. On dirait que l’ombre le produit et l’absorbe. C’est un petit morceau de ciel sombre, un flocon que des ailes emportent. Souvent, l’apparition de ma marraine me faisait penser au mystérieux papillon ; et quand, armé de mon filet vert, je poursuivais le silvain, je pensais à ma marraine. Combien de fois n’ai-je pas esquissé dans mon esprit cette comparaison, pendant que miss Jenny conjuguait ses verbes anglais ! Plus tard, elle m’a frappé par sa justesse : la pauvre jeune femme et la petite chose ailée avaient en commun le deuil, le mystère et l’innocence. C’est pour cela que je n’ai jamais crucifié sur ma planchette de liège qu’un seul représentant du genre : encore ne l’ai-je pas fait sans un sourd remords. Maintenant, bien que je sois resté chasseur zélé de papillons, je ne prends jamais le silvain ; mais, dans mes courses à tra-