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LES FANTÔMES BLANCS

agissais-tu seulement par malice en te moquant sans cesse du père Vincent ?

— Moi, capitaine, je me rappelais toujours que le lieutenant avait dit qu’il répondait de Bob comme de lui-même ; et puis, je l’aimais beaucoup Bob, il était si bon.

— C’est bien, Charlot, dit Philippe. Alors, tu vas être bien content d’apprendre que ton ami Bob s’appelle en réalité le baron Robert de Kermor.

— J’ai Connu son grand-père, dit le père Yves et sa mère, mam’zelle Yvonne, était ma sœur de lait.

Et devant son auditoire attentif, Philippe raconta la touchante histoire de Bob. Puis la découverte de Marguerite, le désespoir et la maladie de la jeune fille, le vœux héroïque du jeune homme pour sauver cette vie qui ne tenait qu’à un fil, il dit la promesse faite par Bob de conduire Marguerite vers sa sœur tout en gardant le secret sur sa retraite, puis enfin, le voyage mystérieux, en compagnie des deux Bretons, et l’installation de Marguerite et de Nanette au petit camp.

— C’étaient les sauvagesses, aperçues par Pierre, dit Jacques en riant.

— Quelles aventures ! dit Levaillant, j’espère que le calme est enfin venu pour mes petites amies ; quant à M. de Kermor, nous allons l’engager à nous suivre en France.

J’en serais très heureux, dit Georges. Odette va avoir besoin de figures amies, une fois là-bas. Angèle va nous suivre, sans doute, mais j’ai l’intention de garder le père Yves et Corentin, s’ils y consentent.

— Et moi ? demanda Charlot, mam’zelle Odette ne me voit pas d’un mauvais œil, et je la fais rire, je serais une distraction pour elle, ajouta l’espiègle avec un clin-d’œil à Georges, qui, malgré ses préoccupations, ne put s’empêcher de rire.


— À présent, mes amis, dit Philippe, qui baillait à se décrocher la mâchoire, vous admettrez que voilà une journée bien remplie. Nous avons bien gagné quelques heures de repos. Voyons, père Yves, le chapelet !…

Après la prière tous les chasseurs gagnèrent leurs lits, mais le capitaine Levaillant et Georges de Villarnay causèrent longtemps à voix basse.


CHAPITRE XX
SÉPARATION.


Le lendemain, Odette ne se ressentait plus de l’accident de la veille. La première personne qu’elle aperçut en ouvrant les yeux fut Marguerite, qui guettait son réveil.

— Oh ! que c’est bon de t’avoir près de moi, Marguerite, dit-elle en l’embrassant. Tu resteras toujours près de moi, maintenant.

La jeune fille secoua la tête.

— Te souviens-tu d’Harry, Odette ?

— Harry ! je crois bien, et Lily, et nos bons amis Jordan : comme je serais contente de les voir !

— Se suis la fiancée d’Harry, Odette.

— C’était le vœu de maman et de M. Murray ; tu vois que je me souviens. Mais Georges va venir, aide-moi à m’habiller. Marguerite lui tendit une robe.

— Encore une de mes robes, murmura Odette.

— Monsieur Georges vous demande, mam’zelle Odette, vint dire Angèle.

Georges n’était pas seul, le capitaine Levaillant l’accompagnait.

— Bonjour, ma petite Odette, dit le vieux marin en posant un baiser sur le front de la jeune fille, on ne s’en souvient plus de cet accident ?

— Non, dit Odette, en tendant la main à Georges, qui la regardait, anxieux. Je suis très bien ce matin, c’est si bon, voyez-vous de vous revoir tous.

— Viens déjeuner Odette, dit la vieille Nanette, toute heureuse de servir son enfant retrouvée. Ces messieurs attendront, ajouta-t-elle en riant.

— Nous avons à causer de notre avenir, ce matin, dit Marguerite en se levant de table. Je disais à Odette que mon mariage avec Harry O’Reilly était décidé… Georges regarda Odette qui rougit.

— Et vous, Odette ? demanda-t-il. Qu’avez-vous décidé ?

— Je ne voudrais pas quitter Marguerite… Mais vous partez, Georges…

— Monsieur de Villarnay est obligé de partir, petite, outre qu’il a une famille qui l’attend en France ; il est lié par un serment à la compagnie des chasseurs.

— Il m’en coûte beaucoup de vous quitter, ma chère Odette. Mais, écoutez mon histoire, vous aussi, Marguerite…

Et le jeune homme dit les motifs de son départ de France, le désespoir de sa mère et de sa sœur, et les dures conditions exigées pour son rappel en France.

— J’aime mon pays, ajouta-t-il en terminant, mais si ma mère et ma sœur, seules avec deux vieillards, n’avaient pas besoin de moi, je ferais bon marché d’une grâce arrachée plutôt que donnée de bon cœur.

Odette, très émue, regarda sa sœur qui avait les larmes aux yeux.

— Suis l’impulsion de ton cœur, ma chérie ; tu as un beau devoir de reconnaissance à remplir vis à vis de monsieur de Villarnay.

Odette vint tendre les deux mains à Georges.

— Nous irons consoler les êtres chéris de là-bas, dit-elle simplement.

Georges mit un baiser sur les petites mains qui se tendaient si spontanément.

— Alors, nous sommes fiancés, nous aussi, Odette ?

— Oui, et je la verrai partir sans trop de regrets, sachant que vous la rendrez heureuse, dit Marguerite.

— Cette séparation ne sera pas de longue durée, dit alors le capitaine Levaillant. Notre ami, Georges, a l’intention de revenir au Canada.

— En effet, mon père est très vieux ; peut-être même n’est-il plus de ce monde à l’heure qu’il est. Ma carrière militaire est finie. J’espère de décider ma mère à nous suivre ici, lorsque ma sœur sera mariée.

— Je vais régler cette grave question, dit de Seilhac qui venait d’entrer. Si ma cousine, Éva, veux m’accepter pour mari ; penses-tu que ma tante consentira à m’accorder sa main ?

— Grand fou ! dit Georges qui ne pouvait