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LES FANTÔMES BLANCS

— Savez-vous d’où venait cet homme ?

— Je me suis laissé dire, dit un vieillard qu’on appelait le père. Louison, que l’Ménard était natif de Québec. Même que son père tenait un cabaret à la Basse-Ville.

— Je l’ferai bien parler moé, dit le gars que le docteur avait guéri en arrivant dans la paroisse. Y a longtemps que j’y garde un chien d’ma chienne à cette rogne-la !

On se rendit à la maison du notaire. Tout y indiquait un départ précipité. Était-il parti seul ? C’était la question angoissante.

On allait se retirer de guerre lasse, lorsqu’un gamin accourut, tout essouflé :

— Ce moé qui en a d’quoi d’beau !

Et l’enfant montrait une broche en or surmontée d’une opale.

— Qui t’a donné cela ? demanda le docteur qui reconnaissait le bijou comme ayant appartenu à Marguerite.

— Je l’ai trouvé dans la « talle » d’épinettes derrière la maison close, dit l’enfant. Il est venu une voiture là, y avait des pistes sur la terre et les branches sont brisées.

— Plus de doute, murmura Georges, c’est ce misérable Ménard qui a fait le coup. Merci, mes amis, c’est inutile de chercher plus longtemps, il a dû la conduire à Québec. Puis s’adressant à l’enfant qui le regardait avec des yeux brillants. Veux-tu me vendre ce bijou, petit ?

— Oui m’sieu, m’donnerez-vous trois beaux sous ?

Le jeune homme ne put s’empêcher de rire. Il mit une poignée de pièces blanches dans la main de l’enfant qui se sauva, radieux de cette aubaine.

Georges se rendit chez lui. Il trouva Odette et Angèle les meilleures amies du monde. Le jeune homme remit la broche à Odette.

— Marguerite est allée prévenir nos bons amis, dit-il, elle t’envoie sa broche pour te faire prendre patience… Et rougissant de son pieux mensonge, Georges se réfugia dans son cabinet de travail. Il avait besoin de se ressaisir.

Fin de la troisième partie.


QUATRIÈME PARTIE
DANS LA FORÊT.


CHAPITRE I
LE CAMP DES CHASSEURS.


Sur la route de St-Paul de Monmiyer, plus communément appelé St-Paul de Button, on rencontre une jolie paroisse, placée sous le vocable de Notre-Dame du Rosaire.

Située seulement à quelques lieues de la belle et grande ville de Montmagny, cette paroisse est devenue, en quelques années, l’une des plus florissantes de la région.

À l’époque où se passe mon récit, les habitants de la forêt troublaient seuls le silence de ces lieux, où la hache du défricheur n’avait pas encore frappé son premier coup.

Quinze jours avant les événements racontés dans la chapitre précédent, une caravane, composée d’une centaine d’hommes, s’acheminait, en se frayant avec peine un chemin à travers le bois, vers l’endroit dont nous venons de parler.

Tous ces hommes étaient pesamment chargés, et leur marche devait durer depuis longtemps, car ils paraissaient harassés de fatigues. Aussi, lorsque la voix de celui qui semblait le chef cria : « Halte ! » personne ne se fit prier pour obéir.

Le soleil était sur son déclin, et la belle journée qui s’achevait promettait une nuit magnifique.

On se trouvait sur un vaste plateau, où poussait une herbe épaisse que les gelées n’avaient pas encore desséchée, car le plateau était protégé de trois côtés par des pins touffus, et de l’autre, par un rocher qui le défendait contre les vents du nord. En bas, une petite rivière promettait une eau limpide et fraîche aux arrivants.

— Quel bel endroit pour un campement de chasseurs ! s’écria un vieux, à barbe grise. Nous campons ici, capitaine ! ajouta-t-il en s’adressant à un homme de haute taille, en qui nous retrouvons notre ami, le capitaine Levaillant.

— Oui, mon vieux Yves, dressez les tentes !

En quelques minutes trois tentes furent dressées. C’était un abri suffisant pour toute la troupe.

— Le lieutenant tarde bien, dit Jacques, un Normand à l’air futé, lui serait-il arrivé un accident ?

— Pas que je sache ! cria une voix joyeuse.

Et Philippe de Seilhac apparut dans la clairière, suivi de Bob qui portait sur son épaule un jeune chevreuil qu’il venait de tuer.

— Bravo ! Bob, dit le capitaine. Voilà, une innocente bête qui sera la bienvenue pour nos estomacs affamés.

— C’est ici que la science du père Vincent va nous être nécessaire, dit de Seilhac. Voyez ! Bob est déjà à l’ouvrage.

En effet, l’Indien aidé par le vieux Breton que le capitaine avait nommé Yves, s’occupait de dépecer le chevreuil.

— Je reprendrai volontiers mon poste de cuisinier, répondit le père Vincent, mais il me faut du bois, des pierres pour construire un foyer et mes ustensiles indispensables.

— À l’œuvre, les enfants ! cria de capitaine. Vous entendez ce que demande le père Vincent ; si vous voulez souper, faites vite.

Les hommes se dispersèrent, et en moins d’une heure, on avait installé un vaste foyer, sur lequel bouillait une énorme marmite, remplie de soupe, tandis que deux quartiers de chevreuil rôtissaient à côté.

— Nous allons nous occuper des lits, en attendant la soupe, dit Corentin. Les « couètes » de plumes sont rares dans vot’pays. M’sieur Bob, voulez-vous m’aider ? demanda le petit Breton, qui se sentait attiré vers l’Indien par je ne sais quelle attraction. On dit que vous en faites de fameux lits, avec des branches ?

Bob sourit, et suivit le jeune homme. Tous deux firent une ample provision de branches de sapins ; les camarades se joignirent à eux,