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LES FANTÔMES BLANCS

— Je crains qu’il n’y aie paralysie interne, dit-il. Dans ce cas la maladie sera longue.

— Est-elle en danger, docteur ? demanda Harry anxieux.

— J’espère que non ; suivez mon ordonnance à la lettre, je reviendrai ce soir.

Après le départ du médecin, Mme Jordan se tourna vers son neveu :

— Que signifie cette aventure, et où as-tu trouvé cette pauvre petite ?

Le jeune homme, en peu de mots, les mit au courant.

— Et Odette ? demanda Lilian.

— Je n’ai pas vu Odette, mais je compte sur Georges de Villarnay. La voyant seule, il va se hâter de l’amener ici.

— Sauvons d’abord celle-ci, dit Mme Jordan en s’approchant du lit où Marguerite commençait à revenir à elle.


CHAPITRE XI
LUGUBRE TROUVAILLE.


Georges de Villarnay n’était rentré chez lui qu’au matin. Le jeune homme se jeta tout habillé sur son lit, appelant en vain le sommeil qui ne venait pas.

Fatigué et irrité de cette insomnie persistante, le docteur se leva et s’approcha de la fenêtre. La lune descendait lentement vers le couchant, tandis que là-bas, une légère lueur commençait à blanchir à l’horizon.

Bientôt, il fit assez jour pour que les objets prissent une forme distincte. Alors Georges aperçut deux corps étendus côte à côte dans le jardin voisin. Effrayé, le jeune homme descendit rapidement et se trouva en face de Nanette, toute en larmes.

— Monsieur Georges, venez vite ; madame est sans connaissance et Marguerite a disparu !…

— Elle est sans doute dans une autre chambre. Retournez près d’Odette et ne la quittez pas. Je vais envoyer Angèle soigner votre maîtresse.

Nanette se retira. Georges alla réveiller la servante, lui donna ses instructions et l’envoya chez Mme Merville.

Alors il se rendit au jardin, s’approcha des deux corps qui gisaient là, consulta le cœur, mais il constata que la mort devait remonter à plusieurs heures.

Ne pouvant rien pour ces infortunés. Georges se rendit chez Mme Merville qu’il trouva étendue sur son lit, la face congestionnée et murmurant des mots sans suite.

Nanette lui raconta qu’étant entrée dans la chambre pour allumer le feu, elle avait trouvé la fenêtre ouverte et sa maîtresse privée de sentiment.

— Aussitôt qu’Odette sera éveillée, vous la conduirez chez moi, où vous ne la quitterez pas d’une minute. Soyez calme, ma bonne Nanette, nous allons retrouver Marguerite. Le docteur se rendit alors au presbytère afin de prévenir le curé de sa lugubre découverte.

— Je vais faire transporter ces malheureux dans la chapelle du cimetière, dit le bon curé. C’est dommage que votre voisine soit malade, elle les connaît peut-être.

— Je crois même que leur mort n’est pas étrangère à sa maladie ; mais Nanette pourra peut-être nous faire connaître leur identité.

Le curé appela son domestique.

— Prends la voiture et suis-nous, dit-il.

À la vue des deux corps, le curé eut un geste de surprise :

— Cet homme est venu, hier soir, me prier de l’entendre en confession, dit-il en désignant Tape-à-l’œil. Voyez ! sa main s’est crispée sur son chapelet. Quel drame s’est-il déroulé ici ?…

Georges alla doucement appeler Nanette.

— Ne criez pas, dit le jeune homme en la prenant par le bras, nous avons besoin de vous. Connaissez-vous ces hommes ?

— Celui-là… mais c’est Laverdie ! s’écria Nanette. Ah ! mon Dieu ! qu’a-t-il fait de Marguerite ?…

— Elle ne peut être loin, puisque ce bandit est mort. Elle aura eu peur et se sera réfugiée dans quelque maison du village ; car il a essayé de l’enlever et ce vieux matelot l’en a empêché. Allez, ma bonne, et tâchez qu’Odette ne se doute de rien.

Lorsqu’il fut seul avec le curé, Georges, en peu de mots, le mit au courant de ce qui concernait Laverdie.

— Si le notaire était son complice, voyant que le chevalier était mort, il peut avoir enlevé la jeune fille, dit le curé. Tout est à craindre de tels misérables !

Cette idée exaspéra le jeune homme. Il prit congé du pasteur et se rendit près d’Odette. Elle lui tendit les deux mains :

— Comme c’est beau, chez toi ! dit-elle. Je ne retournerai plus là-bas… dis, Paul ?…

— Oui, ma chérie, mais il faut que tu sois sage, et que tu laisses Nanette soigner Mme Merville. Ma vieille Angèle va rester près de toi, pendant que je vais chercher ta sœur.

— Je veux bien, mais Nanette reviendra ?

— Oui, et demain nous irons chez M. Jordan.

Odette joignit les mains :

— Oh ! les revoir tous ! dit-elle ; Mme Jordan, si bonne… ma petite Lily… et Maggy que j’aimais tant… Va vite Paul, je serai bien sage.

Le jeune docteur rassembla quelques personnes de ses connaissances et leur fit part du drame qui venait d’ensanglanter le paisible village de St-Thomas.

— C’est t’y possible ! s’écria l’un des hommes. Ah ! on en voit des choses à c’t’heure !

— Le notaire doit être mêlé là-dedans, dit une grosse commère. Je l’ai vu souvent rôder dans le chemin qui mène à la maison des dames. Même qu’une fois, la plus grande des filles lui a dit de ne pas les espionner, qu’il le regretterait.

— La nouvelle servante doit savoir quelque chose ; c’est l’notaire qui l’a engagée…

— Savez-vous d’où venait cette fille ? demanda Georges.

— Non, m’sieu le docteur ; c’est Ménard qui l’avait amenée et il ne contait pas ses affaires à personne.

— Dans ce cas, cette fille a disparu, car elle n’est pas à la maison close, ce matin.

— Allons chez Ménard ! crièrent plusieurs voix. Faudra bien qu’y parle, la canaille !…