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les mendiants de la mort

Le second étage de l’une de ces étroites bicoques est divisé en deux misérables logements, dont l’un est la demeure du père Corbeau.

Ce réduit se compose d’une chambre à une seule fenêtre et d’un cabinet noir. Le sol est de plâtre inégal, raboteux ; le plafond, aux solives sobres et nues, loge dans ses profondeurs des araignées dont les générations se perpétuent d’âge en âge ; la cheminée est de plâtre comme le sel, et ne se rapproche du marbre que par les veines noirâtres que la fumée y a capricieusement imprimées, le tuyau en saillie est coupé de diagonales de papier de toutes nuances qui en bouchent les crevasses ; du même côté, le mur, qui se trouve mitoyen entre cette chambre et un énorme monceau de fumier dressé dans la cour voisine, suinte d’une eau noire qui filtre dans les joints de la pierre.

Une chaise en bois vermoulue, à fond de paille éraillé, est le siège d’honneur de l’appartement ; il s’y trouve en outre une table grasse et huileuse, sur laquelle trônent une cruche de terre ébréchée, un couteau dont la lame est dentelée comme celle d’une scie, une fourchette en fer à manche cassé. La couche, placée à droite de la cheminée, se compose de quatre morceaux de chêne verticaux, équarris et assemblés par des traverses où des ficelles croisées supportent une paillasse, un matelas de foin, un drap fait de toile à voile de navire et une couverture percée en cent endroits. Un vieux vêtement étendu devant la croisée, sur une corde, sèche son tissu mouillé et sert en même temps de rideau de fenêtre.

Il est sept heures du soir. Une pluie trouble qui tombe à torrents rend encore la nuit d’hiver plus sombre ; le froid stagnant de ce réduit est plus âpre, plus pénétrant que celui qui règne au dehors.

Le père Corbeau, après avoir terminé sa ronde de mendicité, vient de rentrer, complètement inondé. Sa besace et son bâton reposent près de lui ; son premier soin a été de vider soigneusement ses poches, et de ranger en pile sur la table les gros sous recueillis dans la journée.

Maintenant il est assis près de l’âtre, où brûlent quelques morceaux de bois et de mottes ; leur cendre rouge fait griller un hareng posé sur les pincettes, en même temps que le vieux vagabond s’empare du surplus de calorique pour sécher ses pieds ruisselants d’eau.