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les mendiants de la mort

mort par jugement du tribunal révolutionnaire du 4 mai 4793, tous deux comme complices de la conspiration Beauvoir. Ils devaient être exécutés le soir même.

« Dans le peu d’heures qu’ils passèrent ensemble avant de marcher à la mort, ils ne pensaient qu’aux deux enfants, si jeunes encore, qu’ils laissaient sur la terre, sans biens, sans ressources, sans appui… Et le moment de marcher à l’échafaud s’approchait !… Tout à coup, Kolli, se jetant dans les bras de sa femme, et lui présentant leur petite fille, fit appel à son courage.

« — Tu as une mission à remplir, lui dit-il, déjà tu es veuve, et tu ne dois plus songer qu’à tes enfants. Il faut disputer ta vie à nos juges par tous les moyens possibles… Déclare que tu es enceinte, tu obtiendras un sursis… Dieu fera le reste…

« Ce triste sort de survivre à son mari, tandis qu’elle avait puisé une consolation dans la pensée d’être au moins réunie à lui dans le dernier instant, parut au-dessus des forces de madame Kolli ; elle résista longtemps ; mais la petite fille, présente à cette scène, et guidée par son père, dont elle répétait les paroles, la supplia d’une voix si touchante qu’elle consentit au sacrifice et fit à l’instant la déclaration qui pouvait la sauver.

« Elle vit son mari partir pour l’échafaud et fut amenée ici dans cette prison de la Force, où elle entra, le 17 mai, avec ses deux enfants. Le petit garçon, âgé de dix ans, fut placé dans le département des hommes, et la veuve, avec sa fille tout enfant, resta détenue dans le bâtiment voisin, nommé alors la Petite-Force et servant de détention pour les femmes.

« La cour où nous nous trouvons était celle des hommes, de l’autre côté de ce mur s’étendait alors celle des femmes ; un égout, dont vous voyez encore le cintre de pierre de taille et qui était garni d’une grille, perçait la muraille.

« C’était là que le jeune Kolli, secondé par les prisonniers qui l’entouraient pour le dérober aux regards des gardiens, savait tous les matins des nouvelles de sa mère et lui donnait des siennes. Il venait coller son visage contre la grille, et la petite fille, secondée de son côté par les prisonnières, accourait lui dire :

« — Maman a moins pleuré cette nuit… un peu reposé… et le souhaite bien le bonjour… C’est Lolotte qui t’aime bien, qui te dit cela. »