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les mendiants de la mort

Les parties successives ne furent plus alors qu’un duel à outrance. Il régnait dans cette étroite salle une chaleur extrême, les bougies agitées se consumaient vite, comme l’existence des joueurs dans ces moments de lutte violente. Tout avait pris le caractère d’un combat mortel. Le front des rivaux était chargé de colère, leurs poitrines palpitantes, leurs yeux couverts avaient ce regard froid et perçant du combattant qui cherche à porter sa lame dans le cœur !… Certes, en ce moment, le jeu n’était pour eux qu’un simulacre de l’ardeur qu’ils auraient mis tous deux à se saisir, à s’étreindre, à s’arracher la vie !…

À minuit, on vint les avertir qu’il était temps de se retirer.

Le compte fait, Herman, qui jouait depuis longtemps sur parole, devait dix mille francs.

Dans la situation particulière où il se trouvait, poursuivi pour dettes, sans domicile avoué, il sentait que son adversaire avait droit d’exiger de lui d’autres garanties qu’un engagement verbal.

— Je vais, dit-il à Léon, vous faire une reconnaissance de cette somme.

— Une reconnaissance ! répéta Bubreuil avec le plus ironique sourire.

— Vous dites cela, monsieur… d’un ton…

— Qui exprime ma façon de penser. Je dois croire un billet de vous chose à peu près nulle.

En toute autre circonstance, Dubreuil, avec sa dignité de caractère, eût rougi d’outrager la pauvreté, mais il avait le cœur plein de rage contre Herman ; toute vengeance était bonne.

Rocheboise avait tressailli de honte et de colère à cette insulte. Il venait de tirer son portefeuille pour déchirer un feuillet des tablettes sur lequel il pensait écrire une reconnaissance de la somme perdue. De nombreux billets se trouvaient entre ses doigts. C’étaient ces valeurs de criminelle origine fabriquées par lui sous la funeste influence de Pasqual, et dont les deux associés ne devaient faire usage qu’au moment de quitter la France… Même en ce moment où d’autres émotions le possédaient fortement, Herman éprouva un frisson douloureux en les revoyant.

Cependant il pouvait s’en servir à cet instant pour prouver à Dubreuil qu’il n’était pas aussi dénué et misérable que