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LES MENDIANTS DE PARIS

— J’ai donc dormi depuis sept heures jusqu’à présent… Ah ! mon Dieu, deux heures !

— Et la demie.

— Et la demie ! mère Jeanne.

Robinette jugea alors qu’il ne lui restait rien de mieux à faire qu’à rentrer chez elle ; et en descendant l’escalier, elle résumait ainsi les avantages et les inconvénients de cette soirée :

— J’ai peut-être manqué de faire ma fortune, c’est vrai ; mais le cassis était fièrement bon !


XIV

au tombeau de marie

Quoiqu’il fût tard, Jeanne n’avait cependant pas fini sa journée. Elle resta quelque temps encore à compter les minutes dans son réduit. Puis elle se leva, s’enveloppa de sa mante, fit un instant de prière, et sortit.

C’était le jour qu’elle avait indiqué à Pasqual pour l’entretenir au cimetière de Vaugirard, et elle allait le rejoindre.

Bien que ses démarches dans cette soirée puissent paraître de natures très-différentes, une même inspiration de cœur les guidait, et elles étaient la suite du même dévouement.

Pasqual était déjà arrivé à l’endroit où ils se rencontraient tous deux ordinairement. Le pauvre vagabond était toujours grave et sévère dans son aspect, doux avec Jeanne, froid et contenu dans son langage.

Du reste, s’il craignait de laisser apercevoir sur son visage les impressions qui pourraient passer en lui, l’obscurité de la nuit le servait à souhait en ce moment. D’épais nuages s’étendaient dans l’espace, rapidement entraînés par un vent orageux ; l’atmosphère était toute formée de ces sombres vapeurs, découvrant seulement dans le passage de leurs vagues roulantes quelques étoiles allumées dans la profondeur du ciel… Ainsi, dans les troubles des passions violentes dont les souvenirs évoqués allaient remplir cette soirée, quelques pensées plus pures et plus tendres pouvaient encore luire dans les intervalles d’une sombre atmosphère.

Jeanne et Pasqual étaient assis sur le gazon qui entourait la tombe, abrités du vent par le massif d’églantiers.