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viii PRÉFACE.


Bretagne, et prenant dans les journaux tous les caractères et toutes les allures, cette langue est devenue de nos jours tout-à -fait différente de ce qu’elle fut jadis. Que ce soit progrès ou décadence, c’est une question que nous ne décidons pas ici ; il nous suffit de citer le fait.

D’un autre côté, plus d’une science récemment découverte, ou, si l’on veut, retrouvée ; d’autres entièrement régénérées, la chimie, la physique, les sciences naturelles, ont dû se créer un langage particulier. Les sciences morales et politiques, l’économie publique, la nécessité des controverses journalières, ont transmis au style un caractère dogmatique ; et la polémique inséparable de la publicité, la discussion des intérêts publics, donnant à l’art d’écrire une direction jusqu’alors inconnue, multipliant l’usage des réticences, des figures de pré térition et d’euphémisme, devait substituer à la naïve franchise de la vieille langue certaines formes de rhétorique, certain caractère indécis et pour ainsi dire transparent, qui donne au style une couleur toute nouvelle.

Ces observations, dont l’évidence a frappé tous les philologues, expliquent naturellement la multiplication successive des dictionnaires de la langue française. Cette multiplicatioi est l’effet d’un besoin général, auquel n’a pu satisfaire le Dictionnaire de l’Académie. S’il est vrai que les langues flottent dans une variation continuelle, comment ce dernier ouvrage pouvait-il suivre ce torrent que rien n’arrête, qui entraine les institutions, les mœurs, les usages ; qui modifie sans relâche la physionomie des sociétés ? Les corps travaillent lentement il est difficile de les mettre en marche, et non moins mal aisé de les faire avancer d’un pas égal.

On ne s’étonnera donc point si le monde savant a reçu avec faveur des ouvrages, publiés d’époque en époque, et consacré soit à rectifier, soit à compléter le travail de l’Académie, Dumarsais et Condillac, d’Olivet, Girard et Beauzée, au dix huitième siècle ; de nos jours Domergue et Laveaux, Boiste et l’abbé Sicard ont discuté, avec plus ou moins de philo-