Page:Rivarol - Dictionnaire classique, 1827.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée
x
DE L'UNIVERSALITÉ


de la Grèce, faisait les délices des Césars. Première différence établie par la nature, et d’où dérive une foule d’autres différences. Ne cherchons pas ce qu’était la nation anglaise, lorsque répandue dans les plus belles provinces de France, adoptant notre langue et nos mœurs, elle n’offrait pas une physionomie distincte ; ni dans les tems où, consternée par le despotisme de Guillaume le conquérant ou des Tudor, elle donnait à ses voisins des modèles d’esclavage ; mais considérons la dans son île, rendue à son propre génie, parlant sa propre langue, florissante de ses loix, s’asseyant enfin à son véritable rang en Europe.

Par sa position et par la supériorité de sa marine, elle peut nuire à toutes les nations et les braver sans cesse. Comme elle doit toute sa splendeur à l’Océan qui l’environne, il faut qu’elle l’habite, qu’elle le cultive, qu’elle se l’aproprie : il faut que cet esprit d’inquiétude et d’impatience, auquel elle doit sa liberté, se consume au-dedans s’il n’éclate au-dehors. Mais quand l’agitation est intérieure, elle peut être fatale au prince, qui, pour lui donner un autre cours, se hâte d’ouvrir ses ports ; et les pavillons de l’Espagne, de la France ou de la Hollande, sont bientôt insultés. Son commerce, qui s’est ramifié dans les quatre parties du monde, fait aussi qu’elle peut être blessée de mille manières différentes, et les sujets de guerre ne lui manquent jamais. De sorte qu’à toute l’estime qu’on ne peut refuser à une nation puissante et éclairée, les autres peuples joignent toujours un peu de haine, mêlée de crainte et d’envie.

Mais la France qui a dans son sein une subsistance assurée et des richesses immortelles[1], agit contre ses intérêts et méconnaît son génie, quand elle se livre à l’esprit de conquête. Son influence est si grande dans la paix et dans la guerre, que toujours maîtresse de donner l’une ou l’autre, il doit lui sembler doux de tenir dans ses mains la balance des empires, et d’associer le repos de l’Europe au sien. Par sa situation elle tient à tous les états ; par sa juste étendue elle touche à ses véritables limites. Il faut donc que la France conserve et qu’elle soit conservée ; ce qui la distingue de tous les peuples anciens et modernes. Le commerce des deux mers enrichit ses villes maritimes et vivifie son intérieur ; et c’est de ses productions qu’elle alimente son commerce ; ai bien que tout le monde a besoin de la France, quand l’Angleterre a besoin de tout le monde. Aussi dans les cabinets de l’Europe, c’est plutôt l’Angleterre qui inquiète, c’est plutôt la France qui domine. Sa capitale, enfoncée dans les terres, n’a point eu, comme les villes maritimes, l’affluence des peuples ; mais elle a mieux senti et mieux rendu l’influence de son propre génie ; le goût de son terroir, l’esprit de son gouvernement. Elle a attiré par ses charmes, plus que par ses richesses ; elle n’a pas eu le mélange, mais le choix des nations ; les gens d’esprit y ont abondé, et son empire a été celui du goût. Les opinions exagérées du Nord et du Midi, viennent y prendre une teinte qui plaît à tous. Il faut donc que la France craigne de détourner, par la guerre, l’heureux penchant de tous les peuples pour elle : quand on règne par l’opinion, a- t-on besoin d’un autre empire ?

Je suppose ici que, si le principe du gouvernement s’affaiblit chez l’une des deux nations, il s’affaiblit aussi dans l’autre, ce qui fera subsister long-tems le parallèle et leur rivalité : car si l’Angleterre avait tout son ressort, elle serait trop remuante ; et la France serait trop à craindre, si elle déployait toute sa force. Il y a pourtant cette observation à faire, que le monde politique peut changer d’attitude, et la France n’y perdrait pas beaucoup. Il n’en est pas ainsi de l’Angleterre, et je ne puis prévoir jusqu’à quel point elle tombera, pour avoir plutôt songé à étendre sa domination que son commerce.

La différence de peuple à peuple n’est pas moins forte d’homme à homme. L’Anglais sec et taciturne joint à l’embarras et à la timidité de l’homme du Nord, une impatience, un dégoût de toute chose, qui va souvent jusqu’à celui de la vie : le Français a une saillie de gaité qui ne l’abandonne pas ; et à quelque régime que leurs gouvernemens les ayent mis l’un l’un et l’autre, ils n’ont jamais perdu cette première empreinte. Le Français cherche

  1. Il y a deux cents ans qu’en Angleterre, et en plein Parlement, un homme d’Etat observa que la France n’avait jamais été pauvre trois ans de suite.