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DE LA LANGUE FRANÇAISE.


ples différens, les langues n’en ont pas moins varié comme la scène du monde ; chantantes et voluptueuses dans les beaux climats, âpres et sourdes sous un ciel triste, elles ont constamment suivi la répétition et la fréquence des sensations.

Il semble encore que les objets que la nature offre à nos sens étant toujours les mêmes, et que l’homme ayant toujours besoin d’exprimer ou de sous-entendre l’ordre direct et naturel de la pensée, on devrait trouver les mêmes images et les mêmes constructions de phrases chez tous les peuples ; mais les hommes ont choisi dans la variété des objets que leur présente l’univers : les differens modes de gouvernement, de religion et de civilisation, tout a influé sur leurs goûts, et a diversifié l’expression de leurs sentimens. Quant à la construction de la phrase, on verra plus bas, au sujet de l’inversion, que l’esprit humain a pu et dû varier l’arrangement des mots, et que cette diversité était inévitable.,

Après avoir expliqué la diversité des langues par la nature même des choses, et fondé l’union du caractère d’un peuple et du génie de sa langue sur l’éternelle alliance de la parole et de la pensée, il est temps d’arriver aux deux peuples qui nous attendent, et qui doivent fermer cette lice des nations : peuples chez qui tout diffère, climat, langage, gouvernement, vices et vertus ; peuples voisins et rivaux, qui après avoir disputé trois cents ans, non à qui aurait l’empire, mais à qui existerait, se disputent encore la gloire des lettres et se partagent depuis un siècle les regards de l’univers.

L’Angleterre, sous un ciel nébuleux, et séparée du reste du monde, ne parut qu’un exil aux Romains ; tandis que la Gaule, ouverte à tous les peuples, et jouissant du ciel

    de telles formes, qu’on distinguât les pièces qui ont servi à soulager l’humanité ou à l’opprimer, à l’encouragement des arts ou à la corruption de la justice, etc., une telle monnaie dévoilerait incontestablement le génie, le goût et les mœurs de chaque peuple. Or, les racines des mots sont cette monnaie primitive, antiques médailles répandues chez tous les peuples. Les langues plus ou moins perfectionnées ne sont autre chose que cette monnaie ayant dejà eu cours, et les livres sont les dépôts qui constatent ses différentes altérations.

    Voilà la supposition la plus favorable qu’en puisse faire, et c’est elle sans doute qui a séduit l’Auteur du Monde primitif, ouvrage plus rempli d’imagination que de recherches et de recherches que de preuves, qui n’ayant pas de proportion avec la briéveté de la vie, sollicite un abrégé dès la première page.
    Il me semble que ce n’est point de l’étymologie des mots qu’il faut s’occuper, mais plutôt de leurs analogies et de leurs filiations, qui peuvent conduire à celles des idées. Les langues les plus simples et les plus près de leur origine sont déjà très-altérées. Il n’y a jamais eu sur la terre ni sang pur ni langue sans alliage. Quand il nous manque un mot, disaient les Latins, nous l’empruntons des Grecs : tous les peuples en ont pu dire autant. La pupart des mots ont quelquefois une généalogie si bisarre, qu’il faut la deviner, et la plus vraisemblable est souvent la moins vraie. Un usage, une plaisanterie, un événement dont il ne reste plus de trace, ont établi des expressions nouvelles, ou détourné le sens des anciennes. Comment donc se flatter d’avoir trouvé la vraie racine d’un mot ? Si vous me la montrez dans le grec, un autre la verra dans le syriaque, tel autre dans l’arabe. Souvent un radical vous a guidé heureusement d’une première à une seconde, ensuite à une troisième langue, et tout-à-coup il disparaît comme un flambeau qui s’éteint au milieu de la nuit. Il n’y a donc que quelques onomatopées, quelques sons bien imitatifs qu’on retrouve chez toutes les nations : leur recueil ne peut être qu’un objet de curiosité. Il est d’ailleurs si rare que l’étymologie d’un mot coïncide avec sa véritable acception, qu’on ne peut justifier ces sortes de recherches par le prétexte de mieux fixer par-là le sens des mots. Les écrivains qui savent le plus de langues, sont ceux qui commettent le plus d’impropriétés. Trop occupés de l’ancienne énergie d’un terme, ils oublient sa valeur actuelle et négligent les nuances, qui font la grace et la force du discours. Voici enfin une dernière réflexion : si les mots avaient une origine certaine et fondée en raison, et si on démontrait qu’il a existé un peuple créateur de la première langue, les noms radicaux et primitifs auraient un rapport nécessaire avec l’objet nommé. La définition que nous sommes forcés de faire de chaque chose, ne serait qu’une extension de ce nom primitif, lequel ne serait lui-même qu’une définition très-abrégée et très-parfaite de l’objet, et c’est ce que certains théologiens ont affirmé de la langue que parla le premier homme. On aurait donc unanimement donné le même nom au même arbre, au même animal, sur toute la terre et dans tous les tems ; mais cela n’est point. Qu’on en juge par l’embarras où nous sommes lorsqu’il s’agit de nommer quelqu’objet inconnu ou de faire passer un terme nouveau.