Page:Rinn - Un mystérieux enlèvement, 1910.djvu/47

Cette page n’a pas encore été corrigée

passagers sur la terre[1] ». Ramenée de Paris toute languissante, en février 1795, on avait espéré, pour la rendre à la santé, en la douceur et l’égalité du climat, l’air salubre des bords du Cher, le ressort de la jeunesse : elle-même, par son énergie à taire ses souffrances, avait donné le change. Mais le mal était de ceux qui défient l’humaine industrie. Le 21 mai 1798, elle s’éteignit, sans avoir la suprême joie d’échanger un suprême baiser avec son frère Ange[2], le préféré, le confident, l’âme de son âme. Ces deux êtres privilégiés vivaient l’un pour l’autre et l’un par l’autre ; il semblait qu’ils ne pussent mourir l’un sans l’autre. La Providence en jugea-t-elle ainsi ? Dix mois à peine s’étaient écoulés, que, succombant au même mal, le frère rejoignait la sœur (27 mars 1799). Rêves, promesses et projets d’avenir, tout gisait brisé, anéanti. Il ne restait aux parents que des larmes pour pleurer les enfants morts, des craintes pour les deux autres, et, à cause d’eux, le cruel mais impérieux devoir de survivre à cet écrasement.

Un amer regret ajoutait à l’amertume de leur douleur. Ces derniers mois d’une vie guettée par la mort, ils les avaient vécus loin de leur fille. Abusés par l’illusion d’un mieux, où leur tendresse répugnait à voir un répit, ils s’étaient déterminés à entreprendre, en Bretagne, un voyage rendu nécessaire par le soin de leur fortune.

  1. Ces paroles, empruntées à une lettre du médecin Veau-Delaunay, qui fit l’autopsie, étaient l’écho de ce que pensait et disait de la jeune fille quiconque l’avait approchée.
  2. Né en 1799, de deux ans plus jeune que sa sœur, Ange était à Paris, élève de l’École Polytechnique, où il avait été admis en 1797.