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Cette mentalité romanesque était celle de beaucoup de gens. Même ceux dont l’esprit, plus positif, échappait à l’inquiétude du détail, réclamaient anxieusement des clartés sur cette malheureuse affaire, où tout semblait être extraordinaire, soit dans son principe, soit dans son résultat[1]. ─ « À trente-quatre ans de distance pendant lesquels il s’est fait trois grandes révolutions, dira plus tard Balzac, les vieillards seuls peuvent se rappeler aujourd’hui le tapage inouï produit en Europe par l’enlèvement d’un Sénateur de l’Empire[2]. »

Ce tapage, cette émotion, les journaux de l’époque en témoignent. Partout l’audace de l’entreprise avait surpris jusqu’à la stupéfaction. Partout une même curiosité inquiète suivait les péripéties de l’enquête. On avait hâte de savoir. Mais les jours passaient, n’apprenaient rien ou si peu que rien, et l’impatience exaspérée se tournait en défiance. Toutes les étrangetés de cette étrange affaire remontaient à l’esprit : le mystère de l’enlèvement, la louche coopération des chouans à la délivrance ; la mollesse et la lenteur des recherches ; la bizarrerie d’une instruction nominalement confiée aux magistrats de Tours, effectivement conduite par le Ministre de la Police qui mandait les prévenus à Paris[3], les y retenait, les interrogeait en personne, et ne livrait des indications recueillies par lui que ce qu’il jugeait opportun d’en livrer. De quels secrets terribles craignait-il la divulgation ?

  1. Lettre du docteur Dieuleveult, de Tréguier. ─ 2 brumaire, an IX.
  2. Écrit en 1843, Balzac, dans sa Ténébreuse affaire, inspirée par l’aventure du Sénateur, place la scène en 1806.
  3. Lettre de Fouché au Préfet d’Indre-et-Loire. ─ 23 vendémiaire, an IX.