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CHAPITRE

X


LA  maison dormait paisiblement quand Michel rentra.

Le jeune homme, lui, dormit mal. Il passa les longues heures noires à se tourner et retourner dans les draps froids ; à chercher l’apaisement d’un sommeil qui brûlait ses yeux mais fuyait son esprit frénétique. Et ce désir de l’évasion dans le néant, par son acuité même, aidait à le tenir en éveil. Michel gardait de sa vertigineuse aventure un désarroi physique, un tremblement profond de son être, qui ne laissait point sa conscience s’engourdir. Les images se présentaient, imprévues et heurtées comme dans un délire fiévreux, sans qu’il pût rien faire pour les retenir et les ordonner. S’il ouvrait les yeux dans le noir, il se mettait à songer aux conséquences possibles de sa folie. Les yeux fermés, c’était encore pis. Des tableaux lascifs s’esquissaient en lui, insaisissables, épineux et dont l’imprécision même ajoutait à sa torture. Le souvenir de cette femme à la chair fleurie qu’il avait tenue entre ses bras maladroits éveillait la meute des instincts qui se mettaient à mordre.

Que pensait-elle de lui maintenant, en ce moment où, pour elle sans doute comme pour lui, le sommeil se refusait ? Te haïssait-elle pour son effronterie ? Ou, peut-être, le méprisait-elle pour sa maladresse stupide et de ce qu’il n’avait pas su être un homme ? Peut-être que s’il eût osé, s’il eût su oser ?… Non ! Il se rappelait son reproche, sa menace : « Qu’est-ce que dira monsieur Jodoin ! ».

Mais puisqu’elle l’aimait, qu’elle l’aimait, lui, Michel !… Depuis combien de temps s’était-elle mise à l’aimer, à le désirer ? Il fallait certes qu’elle l’aimât, et violemment, pour le rapprocher ainsi d’elle, pour oublier ses devoirs de femme et le danger d’être surprise. Par quel aveuglement, par quelle naïveté dont il avait honte n’avait-il jamais deviné sa passion pour lui ?

Tout s’abolissait pendant une minute indéfinie qui pouvait être une heure. Puis il se retrouvait espérant le matin. Il regardait son réveille-matin pour constater qu’il n’était encore que trois heures. Après cet instant d’ombre et de silence intérieur, presque de paix, un nouveau souci l’avait réveillé en sursaut dans la sueur qui collait à son corps

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