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HÉLÈNE ET MICHEL

— … Ta face de sainte-nitouche…
et s’était rendormi. Le lendemain matin, ce mauvais rêve eût sans doute été effacé de son esprit ; mais Hélène, au déjeuner, lui avait demandé d’un air qui se cachait vainement d’être soucieux :

— Tu as bien dormi, Michel ? Tu ne t’es pas éveillé, cette nuit ?

— Pourquoi donc maman ?

Il l’avait vu hésiter ; puis, se ressaisissant, reprendre :

— Pour rien. Ton père a fait un peu de bruit ; il a échappé ses bottines et renversé un verre.

Il avait alors compris que sa mère lui célait quelque chose, quelque chose dont elle ne voulait pas que cela causât à son fils un chagrin, quelque chose dont apparemment elle voulait être seule à souffrir.

Un autre soir le père était rentré au moment où le fils allait se mettre au lit. Il avait ouvert la porte de la chambre d’un coup de pied brutal ; puis s’était arrêté sur le seuil. La mère et l’enfant étaient agenouillés près du lit, disant à voix haute la prière.

Ludovic était resté là mains pendantes, la tête en avant comme une bête agressive. Sans rien dire. Une longue mèche grise barrant le front et éborgnant le regard, la bouche entr’ouverte dont les coins étaient brutalement tirés. Hélène n’avait pas interrompu l’acte de contrition qu’elle récitait. Elle avait simplement levé ses yeux sereins puis avait baissé la tête et les paupières ; et c’est à peine si sa voix avait un instant chevroté. La prière finie, elle avait bordé les couvertures, comme tous les soirs, et embrassé Michel un peu plus longuement que la veille. Mais contre son habitude elle n’avait point quitté la chambre. La lampe éteinte, elle avait tiré une chaise près du lit et était ainsi restée dans le noir, la main posée sur l’édredon. Et le fils avait eu l’étrange impression que sa mère cherchait auprès de lui un refuge. Un refuge ! elle qui si souvent avait été le sien.

Les jours suivants on n’avait guère vu Ludovic.

Le jeudi d’après, qui était congé à l’école, un des derniers de l’année finissante, Michel jouait du violon lorsque sa chanterelle sauta. Cela, évidemment, arrivait de temps à autre. Au début, il n’avait eu qu’à chercher dans les pochettes de l’étui où la prévoyance de parrain avait fait mettre une ample provision de cordes assorties. Mais justement, il n’y avait plus de chanterelles.

Il fallait en acheter et pour cela demander de l’argent. Or au contraire de tant d’enfants, Michel ne demandait presque jamais, par une sorte de fierté, une volonté de se suffire et de ne dépendre de personne. Il préférait se passer de quelque chose plutôt que d’avoir à quémander ; mais il lui fallait une chanterelle.

— Maman, j’ai cassé une corde et je n’en ai plus.

— Ah !