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CHAPITRE

IX


ROBERT vit arriver l’hiver avec appréhension.

L’on s’avança dans octobre puis dans novembre. Les jours bientôt ne furent plus qu’un bref pont de lumière entre deux longues nuits. Quand il fallut fermer les portes de plus en plus précipitamment ; que Crétac et Adrien eurent fait le tour des ouvertures pour les calfeutrer de neuf contre la bise ; que, surtout, on ne put sortir, fût-ce pour un moment, sans la précaution d’abord d’un parapluie, puis d’un pardessus, et enfin d’un paletot doublé d’un chandail, Robert se sentit devenu prisonnier. Il lui parut que chaque jour resserrait un peu plus sur lui les parois d’un monde hermétique.

Il ne connaissait l’hiver campagnard que pour avoir, des fenêtres d’un train, regardé parfois se dérouler sous ses yeux distraits le drap uniforme de la neige ; et les maisons enlisées et les arbres squelettiques, maigrement éparpillés comme les débris d’un monde après quelque catastrophe.

L’isolement, pourtant, ne lui était ordinairement pas importun. Toute sa vie il avait accepté, choisi même, d’être seul. Mais cette solitude humaine, il l’avait cherchée là où elle était la plus parfaite : au cœur de la foule. C’est ainsi qu’il avait fui Louiseville où la petitesse du lieu faisait trop prochain à son gré le contact entre les hommes ; qu’il était venu se jeter dans la mer humaine de la métropole où il n’avait plus été qu’une vague parmi la succession ininterrompue et monotone des vagues océanes.

Jusqu’ici, néanmoins, il lui avait été possible de s’échapper hors de la maison. Il suffisait de franchir le seuil, à volonté ; rien ne venait faire opposition à son caprice. Rien n’empêchait son évasion dans le verger dont les arbres aussitôt renouaient leurs branches derrière lui ; ou sur le chemin menant au hameau ; ou parfois même dans les sentiers tortueux de la montagne. Mais cela était devenu difficile, de plus en plus, avec le froid qui s’aggravait, avec les neiges dont les premières volées étaient apparues pour s’effacer sitôt tombées. Puis sur le sol gelé, la neige s’établit durable, soyeuse, sans vie.

Or il arriva que, par contraste, la maison se fit plus accueillante. Elle, qui n’avait été qu’un abri, devint un refuge. Lorsque Garneau était descendu chez Sansfaçon chercher du beurre ou le journal, la côte glacée

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